La fine pellicule de mousse verte qui recouvre le centre de cette route de campagne nous indique que les voitures traversant le village sont aussi rares que les morilles au printemps. Le secteur est bosselé, les segments plats sont peu fréquents et nous rappellent que la Touraine demeurent une région vallonnée à mesure que l’on s’éloigne des bords du fleuve royal. Nous n’avons pas souvenir d’avoir pédalé sur des routes aussi isolées que celle-ci, au carrefour de l’Indre-et-Loire, du Loir-et-Cher et de l’Indre, à presque 60 kms au sud-est de notre ville de Tours. Partis de Chenonceaux une demi-heure plus tôt, nous pénétrons au sein d’Epeigné-les-Bois, 423 habitants, ses coteaux de tuffeau jaunâtre et ses forêts de chênes centenaires dont les immenses branches se courbent au dessus de la chaussée. Le cadre est champêtre au possible, l’odeur du fumier envahie nos narines et nous croisons successivement la route de chevaux en liberté, de chèvres occupées à désherber les prés et de fermiers aux regards fatigués. Nous entendons ruisseler le Chézelles, petit cours d’eau d’une trentaine de kms traversant le village. La route, humide et ombragée, doit être particulièrement agréable aux plus belles heures de l’été.
Peu après nous être extirpés de la forêt d’Epeigné nous apercevons à notre gauche le majestueux château de Montoupon, modèle d’architecture Renaissance, bâti sur le flanc d’un vallon verdoyant. Les automobilistes, stupéfaits de découvrir un tel château à cet endroit, mettent les warnings et s’arrêtent sur le bas-côté afin d’immortaliser la trouvaille de la journée. La plupart ont l’air de se demander d’où sort ce petit bijou aux tours imposantes, planté à la lisière de cette épaisse forêt et dont ils n’avaient pas pris soin de noter la présence sur le roadbook de la journée. Contrairement à bon nombre de châteaux du Val de Loire, il n’a pas été construit face au fleuve royal, le Cher, l’Indre ou la Vienne. Sa localisation s’explique par la volonté de son bâtisseur, le comte d’Anjou Foulques Nerra, de pouvoir s’appuyer sur une puissante forteresse entre les deux villes les plus importantes du secteur, Loches et Montrichard. Il pouvait ainsi être informé des allers et venus de son ennemi Eudes 1er, comte de Blois, sur cet axe stratégique.
Un panonceau nous indique qu’il faut faire attention aux vipères qui èrent parfois sur les pelouses qui entourent l’édifice. Elles terrorisent les mulots et les grenouilles qui peuplent les environs mais sont la plupart du temps effrayées par le pas lourd des humains. Le château est entouré de deux ruisseaux, notre fameux Chézelles ainsi que le Moulin Brouillon, auxquels il convient d’ajouter le plan d’eau du parc du château. Le sol humide est parsemé de nombreuses agaric des jachères, champignons grégaires à l’odeur anisé poussant exclusivement dans ce genre de prairies. Charnus et savoureux à souhait, ils régalent les amateurs d’omelettes, bien qu’il ne faille pas en abuser sous peine d’être frappé d’intenses troubles gastriques.
Montpoupon est doté d’un parc où règne une atmosphère douce et légère qui permet aux cyclistes de se refaire la cerise avant de reprendre la route. Les plus curieux peuvent se lancer dans la promenade forestière au cours de laquelle ils découvriront moult bornes pédagogiques permettant de prendre la mesure de l’étendue de la faune et de la flore des environs.
Plusieurs campings cars belges et néerlandais se sont arrêtés face au château. Nous assistons à un nouvel atelier photos, l’attractivité de Montpoupon n’ayant pas de frontières. Nous repartons vers le sud de la Touraine afin de rallier notre prochaine destination, l’irrésistible village de Montrésor…